Vertige de Franck Thilliez (éditions Fleuve noir, Pocket)

Voilà encore un auteur confirmé que je découvre. Le monde du livre est un univers fabuleux, il y a toujours des auteurs géniaux à découvrir et à lire, la source est intarissable. Franck Thilliez donc. Le bonhomme est fort réputé chez les amateurs de thriller et de romans très éprouvants.

Encore un livre de poche, vous voyez je pense à vos bourses mises à mal par les diverses hausses des prix et d'impôts et les baisses de rémunération des salaires, retraites et livret A.

Nous sommes en 2010, un homme se réveille dans l'obscurité. Il fait froid et tout est silencieux. Il est désorienté et ne sait absolument pas où il se trouve. Il est enchainé à un pieu fiché dans la roche par une chaine plutôt longue qui le retient au poignet. Son dernier souvenir ? Il lui semble qu'il date de la veille, auprès de sa femme, à l'hôpital. Cet homme s'appelle Jonathan Touvier. La cinquantaine assez vigoureuse, il a derrière lui une très belle carrière d'alpiniste. A son baudrier de grimpeur il a accroché les scalps de l'Everest, du Kilimandjaro et de ceux pas de sommets de plus sept mil mètres disséminés aux quatre coins de la planète. Puis un mouvement dans le noir ...Il n'est pas seul. Un autre homme est à ses côtés, un homme qu'il ne connait pas. Ce compagnon s'appelle Michel. A la lumière tremblante de la lampe à acétylène qu'il a trouvé à côté de lui il éclaire une face monstrueuse. Michel porte un masque de fer qui ne laisse voir que ses yeux, son nez et sa bouche. Michel n'est pas enchainé mais un message les informe que s'il s'éloigne trop une cartouche d'explosif située au dessus de sa tête lui fera sauter la cervelle. L'exploration de l'endroit révèle la présence de Pok le chien de Jonathan. Puis plus tard ils vont trouvé un jeune homme, Farid, déposé un peu plus loin. Il est lui aussi relié à un pieu par une chaine. Les trois hommes ne se connaissent pas, ils ne savent pas où ils se trouvent, ils n'ont aucune idée de pourquoi ils sont là. Encore moins de qui les a placés dans ce trou. Parce que c'est un trou, un gouffre sombre comme le trou du cul d'un singe. Ils découvrent une tente, un réchaud à gaz et des recharges, du matériel de survie mais pour deux personnes seulement. Il y a aussi un coffre fermé par un cadenas à combinaison. Au dessus de leurs têtes les stalactites géantes qui pourraient les réduire en poussière si elles leur tombaient dessus. A leurs pieds, un trou sans fond et noir qui vomit un courant d'air glacial qui hurle sa peine éternelle. L'environnement est des plus hostile. Avant même de savoir pourquoi on les a mis là les trois hommes vont devoir trouver comment survivre le plus longtemps possible avec le peu qu'ils possèdent. Mais la mission n'est pas de tout repos et des plus improbables. En effet, tourmentés par le froid et la faim, minés par le stress et le manque de lumière les trois protagonistes ne vont pas tarder à se tirer dans les pattes. La découverte de trois mots va jeter un peu plus le trouble dans leurs esprits fatigués : Menteur, voleur, tueur …Ils sont l'huile sur le feu de la promiscuité.

Qui est le menteur, le voleur, le tueur ? Est-ce que ces mots s'adressent à chacun d'eux ? La découverte d'un révolver avec une seule cartouche ne les rassure pas.

Jonathan ne peut éviter de repenser au drame qu'il a vécu il y a presque vingt ans, presque au sommet du Siula Grande dans la cordillière des Andes. Là où il a vu mourir son ami Max Beck. Y-a-t-il un rapport avec ce qui se passe ?

Franck Thilliez par d'une idée très originale et très bien ficelée. Il nous brosse des personnages très bien construits qui sont terriblement humains et fragiles. A tour de rôle nous voyons les baisses de régime et de moral de ces hommes unis par la contrainte et si différents. L'auteur nous cueille dès le début de l'histoire et nous livre au compte goutte des indices à chaque début de chapitre. Il fait naître des rebondissements à l'intérieur des rebondissements et ce avec retardement, absolument habile ! On ne sort pas de ce gouffre lugubre et mortel, on sait que le temps joue contre eux et presque contre nous. On manque de lumière et on ressent le froid, la faim, la colère et la peur. Thilliez joue avec nous, il fait de nous des pantins qu'il anime à sa volonté, il nous tourne dans la direction qu'il souhaite avec une désinvolture stupéfiante. A chaque tiers du roman un gros événement nous fait avancer, les révélations distillées au compte goutte nous font saliver.

Ce roman c'est aussi un plongeon dans les tréfonds de l'âme humaine, là où les valeurs s'éteignent, là où les principes se meurent. Il nous pose des questions que nous ne voulons pas entendre et auxquelles nous avons encore moins envie d'y répondre : Jusqu'où serions-nous prêts à aller pour survivre ? Peut-on prendre une vie pour faire durer encore un peu la notre ? Les souvenirs et l'amitié ont-ils plus de valeur que la vie ?

Peut-être que l'âme des ces trois là est plus sombre que ce gouffre, peut-être que la conscience de ces trois hommes est plus froide que ce trou humide.

Peu à peu les acteurs de ce huis clos vont se rendre compte que c'est dans le noir qu'ils vont le mieux voir en eux.. Mais il va y avoir des décisions extrêmement douloureuses à prendre ...et à accepter. La tension est palpable dès le début et elle ne vous lâche pas. Les conditions de détention ne sont pas étrangères au malaise que nous ressentons pendant la lecture. Nos doigts sont engourdis, notre estomac gargouille, nous sommes sur nos gardes. Et s'il y avait quelqu'un d'autre avec eux, tapi dans l'obscurité ?

Prenez votre courage à deux mains, n'oubliez pas votre duvet, votre réchaud et une bonne paire de gants bien chauds. Ah oui, n'oubliez pas votre moral, bien accroché de préférence ...