Au fil des images
Thèmes

travail vie moi monde roman bonne amour femme musique nuit nature jeune texte sourire animaux animal enfant fleurs livre chien air pensée couple lecture rouge roman

Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· Petites critiques littéraires (302)
· Les chansons sont aussi de l'écriture (13)
· INTERVIEWS D'AUTEURS ET ECRIVAINS (6)
· Peintures et mots enlacés (30)
· Classiques contemporains (16)
· Récit de dédicaces (17)
· Humeur d'auteur (15)
· Coups de coeur (8)
· Les mots du cinéma (13)
· Coups de sang ! (4)

Rechercher
Derniers commentaires

merci pour ton superbe commentaire sur cette chanson des plus marquantes de dire straits. comme toi, sans comp
Par Anonyme, le 01.10.2025

l’interprét ation de joan baez arrive encore à magnifier cette magnifique chanson
Par Anonyme, le 18.06.2025

merci pour cette analyse tellement juste de notre génie poète. ce fût un plaisir de vous lire
Par Anonyme, le 06.06.2025

merci pour cette traduction. j'écoute très souvent cette chanson riche de ce message qui exprime la bêtise h
Par Anonyme, le 24.05.2025

je pense et même je le souhaite au plus profond de moi, qu'un jour une école de france pays initiateur des dro
Par Anonyme, le 02.10.2024

Voir plus

Abonnement au blog
Recevez les actualités de mon blog gratuitement :

Je comprends qu’en m’abonnant, je choisis explicitement de recevoir la newsletter du blog "sebastienvidal" et que je peux facilement et à tout moment me désinscrire.


Articles les plus lus

· Brothers in arms (Dire Straits)
· Mistral gagnant
· L'homme aux cercles bleus, de Fred Vargas
· Entretien avec Claude Michelet
· INSURRECTION, les maîtres d'Ecosse

· Légendes d'automne de Jim Harrison
· Des roses et des orties de Francis Cabrel
· Pierre Bachelet
· Il est libre Max de Hervé Cristiani
· Récit de dédicaces
· L'alchimiste
· Pensées pour nos Poilus
· La ligne verte, de Stephen King
· L'équipage, de Joseph Kessel
· "Les enfants des justes" de Christian Signol

Voir plus 

Statistiques

Date de création : 08.07.2011
Dernière mise à jour : 19.11.2025
444 articles


pèle mèle

Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo

Règne animal  de Jean-Baptiste Del Amo

                                          Règne animal

                      De Jean-Baptiste Del Amo, Editions Gallimard.

 

Il aura fallu que je parvienne aux derniers soubresauts de l’année, dans cette période de convulsion dans laquelle la fin de quelque chose n’est jamais aussi près du début d’autre chose, pour être foudroyé par un texte d’une puissance inouïe.

Car ce qui s’est passé en moi lors de cette découverte tiens de ça, un choc électrique, un séisme. D’aucuns diraient avoir pris une claque, mais une claque, une baffe, ça passe finalement assez vite et quelques minutes plus tard, il ne subsiste comme unique preuve une évanescente marque rougeâtre dessinant vaguement cinq doigts en voie d’extinction.

 

Mais l’effet que produit Règne animal est tout autre. Il s’écoule en vous, doucement, au rythme éternel de la nature, comme une saison qui passe sur vous et vous pénètre de ses fragrances, de ses fulgurances et de ses espérances. Un sentiment d’immersion m’a envahi immédiatement. Immersion dans un monde ancien et révolu, mais dont les rhizomes galopent aujourd’hui encore la lande et la campagne. Des gestes et des attitudes, des carcasses voutées sous l’ouvrage, des silences pesants qui enflent dans la pièce unique du paysan jusqu’à augmenter d’une façon exponentielle le cliquetis de la grande horloge qui balance les secondes. Des insignifiants qui occupent le devant de la scène sous l’immensité et l’éternité de l’univers, autant dire pas grand-chose, et pourtant, qu’il s’en passe des choses dans ce monde-là.

 

J’ai été en immersion mais pas en apnée. Ce roman majeur, j’en ai aspiré chaque goulée, chaque bouffée, chaque gorgée. Qu’elle soit acide ou gavée d’ammoniaque, concentrée en effluves lourds de lisier ou éthérée en volutes légères de lilas et de terre retournée, j’ai tout respiré, à pleins poumons, et j’ai aimé ça, terriblement.

Je ne sais par où commencer, par quel bout prendre ce roman au profil de saga qui court sur plus de huit décennies. Peut-être d’abord vous dire que l’auteur affute son talent dans un exercice difficile, celui de mettre en abîme des vies simples qui s’épuisent sous la course des nuages. Sous son style raffiné, une évidence nous frappe et nous infuse. Les générations passent, comme les fleurs, elles se dessèchent sous l’usure des saisons qui se succèdent dans une ronde magique et sans fin. Voilà la première leçon. Nous ne sommes pas grand-chose à l’échelle de la planète, c’est bon de le rappeler à certains. La boutique peut tourner sans nous, et sans doute tournerait-elle mieux, en plus. L’évidence apparaît avec éclat et prestance sous la patine de l’humilité.

 

Nous sommes en 1898, quelque part dans un territoire de l’Occitanie. À Puy-Larroque précisément. Là, sur une terre qu’ils ne possèdent pas, Henri et « la génitrice », une femme aride et froide que nous ne connaîtrons que sous cette appellation, triment toute la journée pour tirer leur subsistance de la culture et de l’élevage. Oh rien de mirobolant. Quelques arpents cultivés pour nourrir quelques têtes de bétail, une vache et sa progéniture, une jument étique et valétudinaire, quelques porcs qui sont le cœur de l’activité et deviendront, 80 ans plus tard, la machine de guerre des héritiers empêtrés dans une course au rendement et à la rentabilité perdue d’avance.  Derrière la masure, un potager soigné offre tout ce qu’il faut au couple. Au milieu, une enfant, Éléonore. Presque une apparition, fugace et silencieuse dans ce foyer taiseux et taciturne. Ici on travaille, on trime mais on ne s’épanche pas. Le père, malade, s’entête à s’escrimer sur les terres pauvres qui lui rendent à peine son ouvrage acharné. La génitrice s’occupe des « bêtes », sous les yeux curieux d’Alphonse, le chien. Éléonore, silencieuse, survit dans une existence intérieure, entre amour pour son père et défiance pour sa mère.

 

Elle a trouvé sa place, celle d’exécutante servile, celle de fantôme ramené par intermittence et par la seule volonté des adultes, à une consistance plus réelle, dans de rares occasions où sourd un semblant d’humanité. Ici, dans ce monde-là, on n’ouvre pas son cœur, on ne se dit rien ou pas grand-chose, juste des banalités lancées pour remplir le vide de la pensée et de l’amour insaisissable. La fillette vit presque recluse, la génitrice, bigote indécrottable, se méfie « des autres ». Elle ne se montre que rarement au village et impose l’autarcie à la famille. Austère et économe de tout, même d’un sourire, elle gère d’une main de fer la vie du foyer. Éléonore étouffe dans cette ambiance de crypte, où chaque jour qui naît est pareil au précédent disparu dans la nuit. Elle espère autre chose que cette existence aride, entre travaux et méfiance du monde, entre lecture du missel et des saintes écritures. Puis un jour, moment tant redouté de la génitrice, le père rend les armes au terme d’une interminable agonie. Fort heureusement, prévoyant, il a, quelques temps plus tôt, pris sous son aile le jeune Marcel, un cousin. Marcel donne la main aux champs, il fait déjà la majorité du boulot. Maintenant c’est lui l’homme du foyer. Entre lui et la fillette se tisse quelque chose qui hérisse les poils de la génitrice, quelque chose qui lui échappe et la repousse déjà, d’une manière subreptice, dans l’ombre de la cheminée. Puis la guerre survient, la grande boucherie. Comme les autres, Puy-Larroque payera un lourd tribu à la folie des hommes. Marcel, en reviendra fragilisé par l’horreur absolu et défiguré, en dedans et en dehors.

 

De la soue rudimentaire et obscure du début du siècle dernier, où la famille élevait deux truies et leurs petits à l’immense porcherie des années 80 qui n’aura de cesse de vomir son flot de merde permanent, c’est la fresque d’une évolution, pour ne pas dire d’une abomination, une régression qui se dessine sous nos yeux.

Je ne peux décemment aller plus loin, sauf pour dire que l’auteur nous fait découvrir en quatre parties, des tranches de vies, un bon gros morceau d’histoire, tantôt pulvérulent, tantôt sanguinolent, mais toujours âpre et dur, comme la terre de là-bas et les gens qui y vivent.

 

Ne vous y trompez pas, c’est un roman noir, dans la veine de « Grossir le ciel » de Franck Bouysse, mais sans le mystère et avec un regard de forcené sur des époques et des sociétés. Mais quelle langue pour porter tout cela, quelle maîtrise et quel souffle. Parmi d’autres, comme Franck Bouysse (ces deux-là vivent sur la même planète c’est certain), Jean-Baptiste Del Amo prouve que les romanciers sont des artisans, qu’ils façonnent leurs récits par petits coups, qu’ils poncent et rabotent, qu’ils éliment et sculptent, jusqu’à ce que ce soit comme ils le veulent, comme ils le voient.

Attention toutefois, c’est un livre érudit et documenté. J’ai ouvert une bonne quinzaine de fois mon dictionnaire, mais pour moi ce n’est en rien un défaut, au contraire. Apprendre de nouveaux mots me permet d’acquérir de nouveaux outils, alors, quand cela arrive, je les entrepose dans ma « caisse à outils », où ils attendent avec la patience du pécheur de trouver leur place dans un texte, le bon mot au bon endroit, le mot qui sonnera juste.

 

Ce roman, Règne animal, c’est une beauté d’horreur, une merveille d’âpreté et de peine, un piédestal à la langue et aux mots. Quand vous lirez les passages où les bêtes, que ce soit dans les lignes arrières du front de la grande guerre ou bien dans les abattoirs terrifiants de notre époque, sont méprisées et assassinées sans la moindre considération due à leur statut d’être vivant doué de pensée et ressentant la douleur et la peur, vous serez pétrifiés de tant de souffrance, de tant de sauvagerie. Quand l’homme relègue les animaux au rang de « ressource », le pire du pire se produit. Quand l’homme ne comprend pas que le cycle de la vie, le monde animal, sont un éternel recommencement, que les générations passées deviennent le terreau des futures et ainsi de suite, il faut un miracle pour enrayer l’affreuse machine folle qui s’emballe et tourne dans le vide.

 

Dès l’incipit vous serez happés, par ce ton, ce sens de la narration et de la description, cette petite musique qui donne leur grandeur aux bonnes histoires.

 

Allez, parce que c’est le dernier jour de l’année, que ses heures ténues et fragiles filent tout droit dans le néant, je vous livre un passage, juste pour que vous puissiez vous faire une idée de l’écriture. Ça se passe page 87, le père vient de canner :

Le visage du père est un masque mortuaire affaissé sur les reliefs du crâne. La pièce est empuantie par une odeur de charogne et de transpiration aigre, les vapeurs de gnôle et de soupe que l’on sert pour se réchauffer, les haleines que les gueules cariées et les estomacs ulcéreux ont recrachées tout le jour, ressassant le même air confiné dont le suint embue les vitres des fenêtres.

Et c’est cela tout le temps, chaque ligne est marquée au fer rouge du langage, ciselé, travaillé, célébré.

 

J’aurais pu terminer en disant que c’est Règne animal qui aurait dû avoir le Goncourt, mais je n’ai pas lu le lauréat ni les autres finalistes non plus. Alors ce serait manquer de respect que dire cela. Donc je ne le dit pas …